Le personnage de Louis Simon 2/3
Louis Simon, un homme ordinaire ?
Place de la Sirène au Mans, ce bas-relief haut placé est bien visible sur la maison familiale de la famille Véron, inventeur de l’étamine du Mans. Cette étoffe de laine très fine sera exportée au delà des mers, comme l’indique le bateau à gauche de la sirène.
Il naît d’une longue lignée d’artisans du textile : un ou deux tailleurs d’habits au xviie siècle, un tisserand de chanvre puis, dès le premier quart du xviiie siècle, deux générations d’étaminiers embarqués par le progrès dans la grande et brève aventure de l’étamine du Mans. Son enfance est environnée par la mort, comme c’est la règle implacable avant le dernier quart du siècle : il perd deux frères à 2 et 7 ans, trois sœurs à 1 an, 9 ans et 19 ans, se trouvant seul rescapé donc d’une fratrie de six enfants. Marié à son tour, il bénéficiera d’une amélioration des conditions de vie : il élèvera cinq enfants sur sept, nés entre 1767 et 1781.
La famille dans laquelle il naît n’est pas pauvre, mais fragile. Son père est trop jeune – marié à 20 ans – trop instruit pour se tenir à son métier, et c’est bientôt la descente en pauvreté : dettes criardes, vente des objets du ménage et enfin abandon de la maison héritée. Il y aura ensuite la remontée vers l’aisance.
Enfant, Louis Simon témoigne de l’omniprésence du travail. À dix ou onze ans il chante seul la messe « au pupitre ». Lorsque, plus tard, il décide d’avoir deux vaches, c’est pour occuper ses deux filles aînées… qui avaient 5 et 7 ans !
L’étaminier pratique aussi, comme c’est le cas de beaucoup d’hommes, « trente-six métiers ». Outre ses activités d’étaminier, il sera aide-sacritain, puis sacristain en titre, bordager, hôte, 11 ans agent voyer, percepteur de l’impôt sur les huiles. Mais il fut aussi le dernier syndic du village (1787-1789) et le premier maire, avant de se consacrer au secrétariat de mairie jusqu’à un âge très avancé.
La manière dont le fil du savoir s’est noué et dénoué dans la famille Simon peut être fréquemment observée dans les villages sans école. Dès 1625, Charles Simon, probablement sacristain ou chantre, doit sans doute à son curé, le privilège de savoir signer et peut-être beaucoup plus, si on en juge par la qualité du paraphe. Charles transmet le savoir à son fils Michel I, qui le transmet à son tour à Michel II. Comme celui-ci meurt alors que ses enfants sont en bas âge, le fil se dénoue. Louis-François, père de Louis, finira par obtenir, à presque seize ans, d’être instruit par le curé Fresneau. Ses connaissances, notamment en arithmétique, lui font envisager une place dans une plantation des îles « de l’Amérique », rêve brisé à vingt ans par un mariage qu’une proche naissance rendait pressant. Il montrera toutefois à son fils à lire d’abord, à écrire vers l’âge de dix ans, et l’arithmétique « qu’il estimait tant ». En fait le fil ne se dénouera plus pour les six générations de descendants, jusqu’à nos jours.
Les idées politiques de Louis Simon ne diffèrent guère de celles d’une large fraction de villageois du Maine. Il plaint Louis XVI, victime des dettes de Louis XV et Louis XIV, trouve que c’était « un bon roi, point méchant et qui aimait son peuple ». Il salue l’abolition de la gabelle, de la dîme, de la féodalité, l’établissement du droit de chasse et de pêche pour tous, la liberté de vendre du vin et de cueillir du tabac. Il ajoute que « jamais le peuple français [n’avait] été aussi heureux que sous le gouvernement républicain ». Et il ne peut comprendre l’attitude des prêtres et des nobles qui ont « apporté le trouble par la contre-révolution ».
Notre mémorialiste passe à l’Empire. Bonaparte est « un général plus fameux que les autres », « aux prises avec des jaloux qui l’envoyèrent en Egypte en espérant qu’il y resterait ». Pour se venger, il abolit la Constitution, se nomma Premier Consul, se fit sacrer par le Pape puis se mit lui-même la couronne sur la tête. On a bien l’impression que Louis Simon a un faible pour cet « empereur des Français », comme ce fut le cas pour une bonne partie de ses sujets. De la royauté à la République et de la République à l’Empire, Louis Simon s’était adapté, comme beaucoup de Français, sans trop d’états d’âme.
Un autre aspect de ses idées politiques est probablement assez courant chez nombre de villageois : le refus des extrémismes. Au verso d’un registre, il a écrit : « j’ai sauvé ce registre de la main méchante des Robespierristes de La Flèche et puis des fanatiques chouans cruels ».
Enfin, dans le domaine purement religieux, les idées exprimées par le mémorialiste villageois n’ont rien d’exceptionnel. L’idéal qu’il propose à ses enfants témoigne de l’efficacité des idées et des enseignements prodigués par les prêtres de la seconde moitié du xviiie siècle : « être bon père, bon fils, bon mari, bon voisin, bon citoyen et bon patriote ».
Ces leçons, reçues dimanche après dimanche, n’ont pas toutefois supprimé le vieux fond de croyances populaires : les saints guérisseurs spécialisés chacun dans la lutte contre un mal précis, et les incursions familières du surnaturel. Dieu prévient les hommes par de la mort proche : Coups frappés dans le silence de la nuit, formes blanches aperçues dans le noir, fantômes passe-murailles. Et puis vient le rappel de la raison, qui veut s’imposer en ce siècle des Lumières : « il ne faut pas ajouter foi à toutes ces rabâtteries… ». Mais la raison n’explique pas tout : « cependant il y a quelque fois du vrai »…